Cote source :
F-VA/ 5303
F-CN/ Rés B 1130 [ 6]
Code source :
DDa.074
Type de source :
originale
Description de la source :
ARGUMENT
Autrefois les Bergers choisissoient dans chaque Hameau un Pasteur, qu'ils reconnoissoient
pour leur Roy. Daphnis Roy du Hameau, qui est le lieu de la Scene, étant mort, Menalque
fut choisi pour remplir sa place.
La Scene est dans un Hameau.
ACTEURS
PAN - MIRTIL - TIRSIS Bergers. - DAMON - AMINTE - CELADON - UN SACRIFICATEUR. -
TROUPE DE BERGERS chantants. - TROUPE DE BERGERS dansants.
ACTE PREMIER.
Mirtil paroît accablé d'une richesse mortelle à cause de la mort de Daphnis Roy de
son Hameau : aprés avoir exprimé une partie des sentimens que la douleur luy inspire,
il se couche sur un lit de gazon, & s'endort. Des Songes funestes le tourmentent
pendant son sommeil. Il se réveille en sursaut, mais un moment aprés il se rendort.
Il se réveille en sursaut, mais un moment aprés il s'endort. Des Songes agréables
succedent aux Songes funestes, & flattent sa douleur par l'esperance qu'elle ne
durera pas long temps. A son réveil il reprent ses premiers sentimens de tristesse.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE
MIRTIL seul.
Non je ne trouve plus de plaisirs en ces lieux, - En vain offrent-ils à mes yeux -
Tout ce qui peut charmer une sombre tristesse. - Mes yeux condamnés à pleurer - Repandent
des larmes sans cesse ; - Quand une juste douceur presse, - Un coeur peut-il trop
soupirer ?
On entent un Concert lugubre.
Cruel destin, que tu causes d'allarmes - Dans ces lieux, où regnoit une tranquille
paix ! - En te perdant, Daphnis, ils ont perdu leurs charmes, - Et les ont perdu pour
jamais.
Cheres Brebis, Troupeau fidelle - Témoins de ma douleur mortelle - Vous ne pouvés
la soulager. - Helas ! vous étes en danger - De suivre quelque voix nouvelle. - Helas
! vous étes en danger - De changer bien-tôt de Berger, - Cheres Brebis, Troupeau fidelle.
Sur ce prochain gazon, à l'ombre des ormeaux - Pleurons la mort d'un Berger trop aimable,
- La gloire de nos champs, l'honneur de nos hameaux.
On entent le même concert.
Il faut ceder enfin au sommeil qui m'accable ; - Puissiez-vous doux repos - Suspendre
le cours de mes maux.
On entent le même concert. Il s'endort.
SCENE SECONDE.
MIRTIL endormi. - TROUPE DE SONGES FUNESTES dansants. - TROUPE DE SONGES FUNESTES
chantans.
DEUX SONGES ensemble.
Que ces campagnes - Perdent leur agrément, - Que les Bergers sur ces montagnes - Pleurent
incessamment : - On ne peut trop verser de larmes, - Lorsque l'on pert un bien rempli
de charmes.
PREMIER SONGE.
Faisons voler par tout l'horreur, - Repandons par tout l'épouvante, - Qu'icy tout
se ressente - De la douleur - Qui trouble nôtre coeur.
SECOND SONGE.
Deserts retentissés de nos cris lamantables, - Bannissons à jamais les plaisirs de
ces lieux, - Ne soyons pas seuls miserables, - Les tristes monuments d'un dépit furieux
- Sont un doux spectacle à nos yeux.
CHOEUR DE SONGES. - Que ces campagnes - Perdent leur agrément, - Que les Bergers sur
ces montagnes - Pleurent incessamment : - On ne peut trop verser de larmes, - Lorsque
l'on pert un bien rempli de charmes.
SCENE TROISIÉME.
MIRTIL éveillé.
Que d'objets importuns viennent me tourmenter ! - Par des songes affreux je me sens
agiter. - Sommeil helas ! bien-loing de soulager ma peine, - Vous ne servés qu'à l'augmenter.
- Inutile repos vôtre douceur est vaine, - Mon coeur ne peut la goûter.
Il s'endort une seconde fois.
SCENE QUATRIÉME.
MIRTIL endormi. - TROUPE DE SONGES AGREABLES dansants. - TROUPE DE SONGES AGREABLES
chantans.
DEUX SONGES ensemble.
Du plus triste Berger charmons l'inquiétude, - Loing d'icy funestes soupirs : - Que
les plus tranquilles plaisirs - Viennent regner dans cette solitude ; - Et contenter
tous ses desirs.
PREMIER SONGE.
Un coeur accablé de tristesse - Doit esperer un destin plus heureux, - Le moment vient,
auquel la douleur cesse, - Pour faire place aux plus aimables jeux.
SECOND SONGE.
Ah ! qu'il est doux aprés l'esclavage - De recouvrer la liberté : - Ah ! qu'il est
doux de retracer l'image - De sa captivité, - La liberté - Plaît bien davantage.
TROISIÉME SONGE.
Si les beaux jours - Duroient toûjours - Il n'auroient rien d'aimable ; - Ce qu'ils
ont d'agreable, - C'est que leur cours - Ne dure pas toûjours ; - Et la saison nouvelle
- Seroit moins belle, - Si les tristes frimats - Ne la precedoient pas.
CHOEUR DE SONGES.
Du plus triste Berger charmons l'inquietude, - Loing d'icy funestes soupirs, - Que
les plus tranquilles plaisirs - Viennent regner dans cette solittude, - Et contenter
tous ses desirs.
SCENE CINQUIÉME.
MIRTIL éveillé.
Doux sommeil, repos agreable - Pourquoy sitôt me quittés-vous ? - Pour un coeur malheureux
que vôtre charme est doux ! - Je cessois d'étre miserable. - Doux sommeil, doux repos,
- En vous perdant helas ! j'ay retrouvé mes maux.
Il se leve tout-à-fait.
Non, je ne puis pretendre - De voir cesser bien-tôt le cours de ma douleur, - Non,
je ne puis attendre - D'un vain bonheur, - Qu'il puisse jamais rendre - Le repos à
mon coeur.
FIN DU PREMIER ACTE.
SECOND ACTE.
Tous les ans les Bergers voisins venoient dans le Hameau celebrer des Fêtes à l'honneur
de Cybelle : ils s'y rendent selon leur coûtume. Tirsis leur chef y arrive le premier,
un moment aprés sa Troupe l'y joint, ils s'unissent tous, & font paroître une
joye extraordinaire par leurs chants & par leurs danses. Elle est bien-tôt troublée,
& changée en tristesse par l'arrivée de Mirtil, qui leur aprent la mort de Daphnis
; pendant qu'ils la pleurent, Damon survient qui leur aporte une nouvelle capable
de diminuer leur douleur ; il leur declare la réponse de l'Oracle, qui ayant été consulté
par Calcas, avoit répondu que les Dieux seroient favorables, & qu'un aimable Pasteur
prendroit la place de Daphnis. Ils sortent tous ensemble pour se disposer au sacrifice
qu'on va faire au Soleil.
ACTE SECOND.
SCENE PREMIERE.
TIRSIS seul.
Tous les ans dans ces lieux les Bergers d'alentour - Viennet pour honnorer la Déesse
Cybelle, - Ils ne pouvoient choisir un plus beau jour, - Pour faire paroître leur
zéle. - Dans cet agreable sejour, - J'attens une troupe fidelle, - Qui du hameau prochain
vient marquer son amour, - Et celebrer une Fête si belle.
Ne laissons pas échaper un moment - D'une heureuse journée - Aux plaisirs destinée,
- On pert les plaisirs aisément, - On les trouve avec peine ; - Quand un beau jour
nous les ramene, - N'en laissons pas échaper un moment. - Dans ce bocage - Tout nous
engage - A joüir des plaisirs innocents ; - Les Oyseaux sur ce feuïllage - Par leur
ramage, - Et leurs tendres accents - Rendent tous nos desirs contants. - Dans ce bocage,
- Dans ces lieux si charmans, - Sous cet ombrage - Tout nous engage - A joüir des
plaisirs innocents.
SCENE SECONDE.
TIRSIS. - TROUPE DE PASTEURS dansants. - TROUPE DE PASTEURS chantans.
LES PASTEURS en entrant sur le Theatre.
Allons, allons que tout s'apréte, - Que tout s'interesse en ces lieux, - Pour honnorer
la féte - De la Mere des Dieux.
TIRSIS.
Venez jeunes Bergers, laissez-là vos houlettes, - De vos chants les plus doux remplissez
tous nos bois, - Au son de vos musettes - Mélez l'agrément de vos voix.
PREMIER PASTEUR.
Dans ces lieux tout nous enchante, - Dans ces lieux tout paroist doux, - Tout y rit,
& tout y chante, - Les plaisirs sont faits pour nous, - Leur douceur toûjours
confiante - Nous fera bien des jaloux. - Dans ces lieux tout nous enchante, - Dans
ces lieux tout paroist doux.
LE CHOEUR.
Dans ces lieux tout nous enchante, - Dans ces lieux tout paroist doux.
SECOND BERGER.
Heureuse solitude - Que vous avés d'atraits ! - Vous faites vivre un coeur sans nulle
inquiétude, - Ni l'amour, ni les soins ne troublerent jamais - Vôtre charmante paix.
TROISIÉME PASTEUR.
Lorsque l'on vient dans ce boccage - On est seur d'y passer d'agreables moments ;
- N'est-ce pas étre sage, - Que d'y venir de temps en temps.
Tout conspire icy pour nous plaire, - Les jeux se sont unis pour nous y contenter
: - C'est nôtre unique affaire, - Que de sçavoir en profiter.
QUATRIÉME PASTEUR.
Si dans ce lieu sauvage - La gloire ne peut pas répondre à nos desirs, - Nous avons
en partage - Les jeux, & les plaisirs.
Je verrois sans envie - La gloire qu'ont acquis les plus fameux Heros, - J'aime mieux
le repos - D'une paisible vie.
CINQUIÈME PASTEUR.
Je suis contant de mon troupeau, - Il est tres contant de son maître ; - Peut-on voir
un destin plus charmant & plus beau, - Que celuy d'étre heureux du moment qu'on
veut l'étre.
Vous qui voulez vous dégager - Du mortel ennui qui vous presse, - Venez vous joindre
à nous, vous serez sans tristesse. - Pour vivre sans chagrin il faut étre Berger.
SCENE TROISIÉME.
TIRSIS. MIRTIL. - TROUPE DE PASTEURS dansants. - TROUPE DE PASTEURS chantants.
MIRTIL en entrant sur le Theatre.
Le tems helas ! n'est plus, où dans ce bois aimable - Je rencontrois mille douceurs,
- Je n'y viens plus que pour verser des pleurs, - Et regreter un bien trop peu durable.
TIRSIS.
Cher Mirtil, vous pleurés, qui cause vos douleurs ?
MIRTIL.
Tirsis, ignorés-vous nos funestes malheurs ?
TIRSIS.
Je venois en ce sejour tranquille, - Que la paix a choisi pour azile, - Joüir avecque
vous - Des plaisirs les plus doux.
MIRTIL.
Le Ciel n'a pû voir sans envie - Le paisible bonheur, qui regnoit en ces lieux. -
Daphnis n'est plus, il a perdu la vie, - Une éternelle nuit le derobe à nos yeux ?
- Ciel ! pour calmer le couroux qui t'anime - N'auroit-il pas suffit de Mirtil pour
victime ?
TIRSIS.
Que d'un sort rigoureux l'inflexible rigueur - Cause de cruelles allarmes. - Pleurez,
Bergers, pleurez, vôtre juste douleur - Ne vous peut trop faire verser de larmes.
LE CHOEUR.
Mélons nos pleurs, unissons nos regrets, - Pleurons, pleurons sans cesse, - Nôtre
tristesse - Ne doit finir jamais.
SCENE QUATRIÉME.
LES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDANTE.
DAMON.
Bientôt icy pour faire un sacrifice - Vous verrez s'assembler tous les Bergers voisins.
- Calcas a consulté les Dieux sur nos destins ; - Le Ciel, dit-il, sera propice, -
Touché par vos soûpirs - Il va faire cesser nos mortels deplaisirs ; - Un illustre
Pasteur viendra prendre la place - De Daphnis que la mort a ravi malgré nous.
MIRTIL.
Nous avons trop senti son funeste courroux, - Il est enfin tems qu'il se passe.
LE CHOEUR.
Si les Dieux écoutent nos voeux, - Bergers, que vous serez heureux.
FIN DU SECOND ACTE.
TROISIÉME ACTE.
Tirsis fait tous ses efforts pour persuader à Mirtil, que sa douleur finira bien-tôt
; Mirtil encor tout occupé de sa douleur ne peut le croire qu'avec peine. Cependant
le Sacrificateur accompagné d'une grande Troupe de Bergers vient commencer le Sacrifice
: le succés en est tres-heureux ; le Sacrificateur inspiré du Dieu qu'il invoque declare
Menalque successeur de Daphnis. Comme Menalque est un des plus accomplis Pasteurs
qui fut jamais, tous les Bergers témoignent en dansant la joye qu'ils ont de son élection.
ACTE TROISIÉME.
SCENE PREMIERE.
MIRTIL & TIRSIS.
TIRSIS.
Pourquoy prendre plaisir à vous géner vous même ? - Joüissés de la paix qui revient
vous chercher.
MIRTIL.
Quand on pert ce qu'on aime - Rien ne peut plus toûcher.
TIRSIS.
Que les soupirs & les allarmes, - Qui troubleroient le repos de ces lieux fortunez
- En soient à jamais éloignez : - Cessés de répandre des larmes, - Revenez plaisirs,
revenez, - Ramenez tous vos charmes - Dans ces lieux fortunez - Qui vous sont destinez.
MIRTIL.
Quoy seroit-il possible, - Que mon coeur redevint paisible ? - Espoir trompeur helas
! - Ne m'abusés-vous pas ? - Quoy seroit-il possible, - Que le Ciel fût sensible -
A nos cruels malheurs ? - Quoy seroit-il possible, - Qu'il fist cesser nos pleurs
? - Quoy seroit-il possible, - Que mon coeur redevint paisible ? - Espoir trompeur
helas ! - Ne m'abusés-vous pas ?
TIRSIS.
Les Dieux font gronder leur tonnerre, - Mais leurs couroux vangeur ne dure pas toûjours
: - Aux plus tristes hivers, qui tourmentent la terre - Ils font succeder les beaux
jours.
Esperés un destin favorable, - Le Ciel n'est pas insensible à vos maux : - Souvenés-vous
Berger aimable, - Qu'aprés l'orage on joüit du repos.
TIRSIS. MIRTIL. Ensemble.
Que l'esperance - Est un bien charmant ! - Elle adoucit la violence - Du plus rigoureux
tourment, - Malheureux qui la pert un moment : - Sans l'esperance - On ne peut vivre
contant. - Que l'esperance - Est un bien charmant !
TIRSIS.
Le sacrifice est prest, on conduit la victime, - Je vois les Bergers s'avancer.
MIRTIL.
Ciel ! que l'ardeur qui les anime, - Puisse enfin t'apaiser.
SCENE SECONDE.
MIRTIL. TIRSIS. - LE SACRIFICATEUR. - CHOEUR DE BERGERS chantants. - CHOEUR DE BERGERS
dansants.
LE CHOEUR DES BERGERS en entrant sur le Theatre.
Sacré Soleil, dont le feu nous éclaire, - Astre brillant, qui nous donne le jour,
- Sans toy les plus beaux lieux sont un affreux sejour, - Sans toy rien ne peut plaire
: - Sacré Soleil, dont le feu nous éclaire, - Apaise ta colere, - Reçois nos voeux,
- Rends nous heureux.
LE SACRIFICATEUR.
Ces Bergers par mes mains t'offrent ce sacrifice, - Soleil sois leur propice, - Reçois
leurs voeux, - Rends les heureux.
LE CHOEUR.
Reçois leurs voeux, - Rends les heureux.
LE SACRIFICATEUR.
Tremblez Bergers, tremblez en la presence - Du plus puissant des Dieux - Qu'on honnore
en ces lieux, - Implorez sa puissance.
LE CHOEUR.
Nous recevons - Sa presence, - Nous implorons - Sa puissance.
LE SACRIFICATEUR.
O toy qui peux - Par tes lumieres - Decouvrir quand tu veux - Les plus cachés misteres
- Toy, qui connois le sort des Pasteurs & des Roys, - Instruits ces bergers par
ma voix.
LE CHOEUR.
Fais nous connaître - De qui nous recevons les Loix, - Fais nous connaître - Qui sera
nôtre Maître.
LE SACRIFICATEUR.
Vôtre destin, Bergers, se decouvre à mes yeux ; - Qu'il est beau ! qu'il est glorieux
! - Menalque est vôtre Roy, vivez sous son empire - Toûjours heureux, toûjours contants
; - En ce jour tout conspire - A surpasser vos voeux les plus ardents.
DEUX BERGERS.
Suivons les loix d'un Pasteur aimable, - Faisons cesser le cours de nos pleurs : -
N'est-ce pas un plaisir incroiable - De voir ses maux changez en de telles douceurs
?
LE CHOEUR.
Suivons les loix d'un Pasteur aimable, - Faisons cesser le cours de nos pleurs : -
N'est-ce pas un plaisir incroiable - De voir ses maux changez en de telles douceurs
?
DEUX BERGERS.
Plus un bien nous a couté de larmes, - Plus nous y trouvons d'appas : - Un bien, apres
lequel on ne soupire pas, - Ne peut avoir beaucoup de charmes.
LE CHOEUR.
Plus un bien nous a couté de larmes, - Plus nous y trouvons d'appas : - Un bien, apres
lequel on ne soupire pas, - Ne peut avoir beaucoup de charmes.
FIN DU TROISIÉME ACTE.
QUATRIÉME ACTE.
Mirtil consolé par le choix qu'on a fait de Menalque, & tout occupé du merite
de ce Pasteur, fait éclatter sa joye dans le même lieu, où il avoit poussé tant de
soupirs. Aminte & Celadon deux Bergers du même Hameau viennent se joindre à luy,
pour chanter les loüanges de Menalque : ils sont interrompus par Pan le Dieu des Bergers,
lequel leur commande de preparer une Fête pour remercier les Dieux de leur avoir donné
pour Roy un Pasteur si accompli ; cet ordre leur cause un extrême plaisir, & ils
choisissent le lendemain matin pour faire un essai de cette Fête.
ACTE QUATRIÉME.
SCENE PREMIERE
MIRTIL seul.
De ces lieux enchantez une mort trop cruelle - Avoit banni la douceur & la paix
; - Pour nos coeurs affligez ils n'avoient plus d'attraits, - Icy tout languissoit,
une douleur mortelle - Sembloit avoir chassé tous les jeux pour jamais ; - Mais dans
ce beau sejour Menalque les rapelle.
Heureux retour des plaisirs & des jeux - Vous surpassés nôtre attente, - Heureux
retour des plaisirs & des jeux - Vous surpassés tous nos voeux.
Une ame indifferante, - Qui sans être attendire a veu couler nos pleurs, - Ignore
le bonheur dont joüissent nos coeurs. - Je consens que le sort nous tourmente - Par
les plus rudes coups qu'on ressente, - Pourvû qu'apres ses funestes rigueurs, - Il
nous fasse éprouver de pareilles douceurs.
L'Aquilon orageux échappé de sa chaine, - De la mer pour un tems peut soulever les
flots : - Tout cede à sa fureur sur l'empire des eaux, - La resistance est vaine ;
- Mais enfin le zephir ramene - Le calme & le repos.
SCENE SECONDE.
MIRTIL. AMINTE. CELADON.
AMINTE & CELADON en entrant sur le Theatre.
Il n'est point de bonheur au nôtre comparable, - Tout y paroît sensible dans ces bois
: - Cher Mirtil unissons nos voix, - Nous avons un destin semblable ; - Chantons,
chantons cent & cent fois, - Qu'il n'est point de bonheur au nôtre comparable.
TOUS TROIS ensemble.
Chantons, chantons cent & cent fois, - Qu'il n'est point de bonheur au nôtre comparable.
AMINTE.
Tout me semble parler de Menalque en ces lieux, - Helas ! si malgré son absence -
Mon coeur a tout moement le presante à mes yeux, - Que ne fera point sa presence ?
CELADON.
Qu'il est doux de suivre ses loix ! - Heureux qui vit sous son empire ! - L'unique
bonheur, où j'aspire, - C'est qu'on puisse luy redire - Combien nous l'aimons tous
trois.
AMINTE.
Autrefois sur les bords de Seine - Je le vis en passant : - Qu'il me parut aimable
& charmant ! - Ah ! Mirtil que je sentis de peine, - A le quiter au méme instant.
MIRTIL.
Aminte, si tu peux, fais nous en la peinture.
AMINTE.
Mille fois j'ay tâché de tracer son portrait, - Mille fois j'ay depeint la vertu la
plus pure, - Et le Pasteur le plus parfait.
On ne peut le connaître, - Et se defendre de l'aimer ; - Il sçait l'art de charmer,
- Du moment qu'on le voit paraître ; - Lorsque d'un coeur il veut se rendre maître,
- On se sent aussi-tost desarmer. - On ne peut le connaitre, - Et se défendre de l'aimer.
Ils repetent tous trois ensemble ces huit derniers vers.
MIRTIL.
Paissés Troupeau, paissés en asseurance - Sous la garde d'un tel Berger, - Vous ne
serés plus en danger - De ressentir la violence, - Et la fureur des loups : - Menalque
prend vôtre deffence - Il n'est point de brebis plus heureuses que vous.
AMINTE.
Pour achever son carractere, - On voir reluire en luy les vertus de son Pere, - De
tous nos differents l'arbitre souverain - Nous l'avons veu cent fois régler nôtre
destin.
MIRTIL.
Avec plaisir je me souviens encore, - Que dans le temple où l'on honnore - Les Oracles
sacrés, que profere Themis, - Il avoit enchainé l'injustice & l'envie : - Ces
monstres domtés & soumis - Ne venoient plus troubler la paix de notre vie, - L'innocence
regnoit dans ces heureux climats, - La vertu de ces lieux avoit fait son azile, -
Sous ses loix tout étoit tranquille ; - Mais helas ! - Nous perdimes trop tost ce
bonheur plein d'appas. - Déja depuis long tems la Seine le possede, - Aimé de tout
le monde, estimé de son Roy, - Qui se repose sur sa foy, - Et qui par ses conseils
voit que tout luy succede.
MIRTIL.
Nous recouvrons le bien que nous avions perdu, - Et dans le Fils le Pere enfin nous
est rendu.
CELADON.
Est-il des coeurs plus contans que les nôtres ? - Est-il un sort plus charmant &
plus doux ? - Les plaisirs qui fuient les autres - Viennent s'offrir â nous.
AMINTE.
Dans cette tranquille retraitte - Tout conspire à nous rendre heureux ; - Une felicité
parfaite - Nous amis hors d'etat de former aucuns voeux.
TOUS TROIS ensemble.
Tout s'embellit dans ce sejour paisible, - Tout s'empresse pour plaire à ce nouveau
Pasteur ; - Seroit-il un coeur insensible - A nôtre bonheur ? - Seroit-il un coeur
insensible - Dans ce sejour paisible ?
SCENE TROISIÉME.
PAN. - MIRTIL. AMINTE. CELADON - TROUPE DE BERGERS chantants. - TROUPE DE BERGERS
dansants.
PAN.
Bergers suivez mes pas, - C'est le Dieu Pan qui vous l'ordonne, - Bergers suivez mes
pas - Dans ces lieux pleins d'appas.
LE CHOEUR.
C'est le Dieu Pan qui nous l'ordonne, - Obeissons aux ordres qu'il nous donne, - Suivons
ses pas - Dans ces lieux pleins d'appas.
PAN.
Il n'est rien qui ne se ressente - De la douceur charmante, - Que Menalque en ces
bois nous ramene avec luy ; - Qu'on s'aprête - Pour la féte - Qu'on doit à son honneur
celebrer aujourd'huy.
LE CHOEUR.
Qu'un même dessein nous unisse, - Preparons nos chants les plus beaux, - Que tout
retentisse - De nos concerts nouveaux.
PAN.
J'aime à voir éclatter l'ardeur, qui vous anime - Suivez ces aimables transports ;
- Que votre amour pour Menalque s'exprime - Par vos plus doux accorts ! - Joignez-vous
tous ensemble, unissez vos efforts : - Allez, & songez à luy plaire, - Allez,
vous ne pouvez mieux faire.
LE CHOEUR.
Allons, & songeons à luy plaire, - Allons, nous ne pouvons mieux faire.
FIN DU QUATRIÉME ACTE.
CINQUIÉME ACTE.
Pan ayant devancé l'aurore vient chercher les Bergers, ne les trouvant point il se
plaint de leur paresse. Mirtil qui survient les excuse, en témoignant avec qu'elle
ardeur ils s'assemblent dans le hameau voisin. Ils arrivent tous enfin ornés de guirlandes
de fleurs, & par leurs chants, & par leurs danses ils font un essai de la
fête, qu'ils ont preparée pour recevoir Menalque. Mais à peine avoient-ils commencé,
que Damon vient les avertir que Menalque arrive : Pleins de la joye la plus sensible,
qu'ils eussent jamais receüe, ils se disposent à le bien recevoir. Pan les conduit
audevant de Menalque.
ACTE CINQUIÉME.
SCENE PREMIERE.
PAN seul.
En vain j'ay prevenu l'aurore ; - Les Bergers, qu'en ces lieux j'attens, - Ne viennent
point encore ; - Pour des coeurs empressez c'est tarder trop long tems.
Beau soleil par vôtre lumiere - Venés faire pâlir la lune qui nous luit, - Avancés
dans vôtre carriere, - Achevés de chasser les ombres de la nuit : - S'il se peut en
passant sur ces belles retraites, - Pour prolonger nos jeux arrêtés vôtre cours, -
Vous ne pourés jamais donner de plus beaux jours, - Et nous n'aurons jamais de douceurs
plus parfaites. - Puissent-elles durer toujours ! - Le soleil cependant découvre les
campagnes, - L'ombre fuit des montagnes ; - La nature reprent tous ses premiers appas,
- Et fait voir la beauté de ces heureux climats.
SCENE SECONDE.
PAN. MIRTIL.
PAN.
Faut-il encor long tems attendre - Les Bergers, qui doivent se rendre - Dans ce sejour
charmant ? - Ah ! tout devoit ceder à leur empressement.
MIRTIL.
Tous les Bergers du voisinage - Au son des chalumeaux, - Assemblez dans nôtre village
- Preparent à l'envi mille ornements nouveaux - De fleurs & de feüillage.
PAN.
Non, jamais on ne fit paraître plus d'ardeur, - Par cent accorts divers toutes les
voix s'unissent, - Pour honnorer un aimable pasteur. - Les hameaux d'alentour de son
nom retentissent ; - Mais pour pouvoir juger de mon bonheur, - Il faut sentir pour
luy, ce que ressent mon coeur.
Tranquille solitude, - Où j'ay poussé mille soupirs ; - Toy, qui connus ma peine,
& mon inquietude, - Tu connois seule mes plaisirs.
On entent un concert d'instruments.
PAN.
Ce bruit de musique champétre - M'aprent que dans ces lieux les bergers vont paraître.
PAN & MIRTIL ensemble.
Preparons nous - Aux concerts les plus doux ; - Que l'écho fidelle - Réponde à nos
voix, - Chantons avec elle, - Menalque est devenu l'ornement de nos bois, - Trop heureux
les Pasteurs, qui vivent sous ses loix.
SCENE TROISIÉME.
PAN. MIRTIL. TIRSIS. - TROUPE DE BERGERS dansants. - TROUPE DE BERGERS chantants.
PAN.
O vous, qui du Dieu Pan respectez la puissance, - Lorsque le Ciel comble vos voeux,
- Venez, Bergers, par vos paisibles jeux, - Venez marquer vôtre reconnoissance,
LE CHOEUR.
Lorsque le Ciel comble nos voeux, - Allons par nos paisibles jeux, - Allons marquer
nôtre reconnoissance.
PAN.
Souvenez-vous des pleurs, que vous avez versez, - Les Dieux enfin ont fait cesser
vos larmes, - Goutez sans crainte & sans allarmes - Des plaisirs qui jamais ne
seront traversez.
MIRTIL.
Faisons éclater nôtre joye, - Honnorons le Pasteur que le Ciel nous envoye.
[TIRSIS.]
Discutons entre nous à qui sçait mieux l'aimer, - Voions de qui l'amour sçaura mieux
s'exprimer.
PREMIER BERGER.
Je remporteray l'avantage.
SECOND BERGER.
C'est moy qui l'aime davantage.
TROISIÉME BERGER.
Non, je ne vous cederai pas.
QUATRIÉME BERGER.
Ah ! qui pouroit me vaincre en de pareils combats ?
MIRTIL.
Tout doit ceder à mon amour extréme, - Il est impossible qu'on l'aime - Avecque plus
d'ardeur que moy.
TIRSIS.
Je l'aime encore plus que toy.
PAN.
J'aprouve vôtre zéle, - Avec plaisir je le vois éclater ; - L'amour le plus fidelle,
- Est celuy qui doit l'emporter.
LE CHOEUR.
Il sera toujours aimable, - Et nous l'aimerons toûjours ; - Un bien inestimable -
Merite d'éternelles amours.
SCENE DERNIERE.
LES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDANTE.
DAMON.
Bergers acourez tous, Menalque va paraître, - Il s'avance en ces lieux, - Que vous
perdez de moments precieux ! - Bergers acourez tous, Menalque va paraître, - Allez
recevoir votre maître.
LE CHOEUR.
Allons, acourons tous, Menalque va paraître, - Allons recevoir nôtre maître.
DAMON.
Que l'ardeur qui nous presse - Redouble vos pas, - Pour le bien recevoir qu'un chacun
s'interesse, - Ne differez pas.
LE CHOEUR.
Allons, acourons tous, Menalque va paraître, - Allons recevoir nôtre maitre.
MIRTIL.
Depuis long tems mon coeur, - Qui toûjours de son nom occupe ma memoire, - Me flattoit
en secret d'un semblable bonheur ; - Mais je refusois de le croire.
PAN.
Nous perdons cent plaisirs en perdant un moment, - Marchons incessament, - Je vais
à votre tête. - Pour ne point oublier un bonheur si charmant, - Que ce jour desormais
nous soit un jour de féte : - Qu'on le celebre par des jeux, - Que tous les ans on
renouvelle, - Que le nom du Pasteur, qui vous rend trop heureux - Soit à jamais comblé
d'une gloire immortelle.
LE GRAND CHOEUR.
Que le nom du Pasteur, qui nous rend trop heureux - Soit à jamais comblé d'une gloire
immortelle.
LE PETIT CHOEUR.
C'est la vertu, qui triomphe en ce jour, - C'est elle, qui nous donne Menalque : -
Peut-on avoir une plus seure marque, - Qu'elle aime ce paisible sejour.
LE GRAND CHOEUR.
Triomphés vertu charmante, - Triomphés, par tout qu'on chante - Ce triomphe glorieux
; - Que l'on publie en tous lieux - Ce triomphe glorieux.
LE PETIT CHOEUR.
Suivons la vertu, nul empire - N'est plus doux que le sien, - Elle est l'unique bien,
- Qu'un coeur sage desire ; - Quand pour elle on soupire - On ne soupire plus pour
rien.
LE GRAND & ET LE PETIT CHOEUR.
Triomphés vertu charmante, - Triomphés, par tout qu'on chante - Ce triomphe glorieux
; - Que l'on publie en tous lieux - Ce triomphe glorieux.
FIN DU CINQUIÉME ET DERNIER ACTE.