Cote source :
F-Pn/ Vm1 1117 [ 1]
Code source :
FCB. 901
Type de source :
originale
Description de la source :
A Mr. T[anevot], 28 Septembre 1728
Je viens d'apprendre avec un sensible plaisir, Monsieur, le bon office que vous voulez
bien rendre à la mémoire de feu M. De la Lande. Vous devez, dans ce travail où vous
faites paroitre votre amour pour le vray mérite, être doublement applaudi, puisqu'en
écrivant la vie de ce grand Maître, & vous attachant sur tout à le représenter
tel qu'il étoit par rapport à son Art, vous donnez au Public les moyens de l'admirer
avec connoissance de cause, & enseignez à ses émules le chemin qui peut conduire
à ce haut degré de perfection où il étoit parvenu.
J'étois son serviteur & son amy, & j'avois reçû de luy trop de marques d'estime
& de bontez, par les soins qu'il a pris de m'instruire dès ma plus tendre jeunesse,
soit par ses conseils pour tout ce qui peut former le gout, soit par sa constance
& son attachement inviolable au travail et à son devoir, pour ne pas sacrifier
quelque chose de mon amour propre, en hazardant de mettre par écrit ce qui peut vous
instruire de toutes les perfections que j'ay reconnuës dans ce Lully latin. Trop heureux
si cela peut vous être de quelque utilité dans votre projet, & vous mette au fait
des parties de l'art qui pourroient vous échapper, ou qui vous sont inconnues. Je
laisse à votre zèle à faire valoir ce que je tiens uniquement de la simple vérité.
Le grand mérite de M. De la Lande consistoit dans un merveilleux tour de chant, un
précieux choix d'harmonie, une noble expression : faisant toujours valoir les paroles
qu'il avoit à traiter, en rendant la sens véritable, le majestueux, & le saint
enthousiasme du Prophete. Plus amateur du sublime et des grandes idées, que d'un travail
servile et pénible, qui fatigue plus souvent l'esprit de l' Auditeur qui ne le satisfait,
& qui luy laisse presque tout à désirer. Icy sçavant & profond, là simple
et naturel, il faisoit toute son étude & mettoit toute son application à toucher
l'ame par la richesse de l'expression, & des vives peintures, & à délasser
l'esprit par les agrémens de la variété, non seulement dans le merveilleux contraste
des morceaux, mais dans les morceaux même qu'il traitoit ; ce qu'il est aisé de voir
par les disparates ingénieuses dont il ornoit ses Ouvrages, & par les traits de
chants gracieux, aimables, qui servoient pour ainsi dire, d'Episodes à ses Choeurs
les plus travaillez.
Infatigable dans ses recherches, autant que prodigue de son génie dans ses oeuvres,
il ne se satisfaisoit presque jamais ; toujours plus difficile à mesure qu'il augmentoit
en mérite. Ceux qui l'ont connu particulierement, peuvent rendre témoignage qu'il
a plus rebuté de Musique par le mépris qu'il faisoit du médiocre & des choses
négligées, qu'il n'en faudroit pour faire la réputation d'un autre.
Les qualitez que ce grand génie possedoit encore à un degré éminent, étoient la combinaison,
la précision & la juste proportion de ses morceaux, soit grands ou petits, soit
de différent caractère, ce qui se fait sentir par les périodes de chant, & la
gradation sans pareille des beautez de chacun de ses Recits, Duo, & autres où
l'esprit & le coeur sont également interessez, l'un par la surprise & l'admiration,
l'autre par le sentiment : joignez à cela la parfaite connoissance qu'il avoit de
l'étenduë des voix & du propre de chaque instrument qu'il mettoit à leur aise
dans ce qu'il faisoit pour eux : talent particulier qui contribuë beaucoup à la satisfaction
des Auditeurs & de ceux qui executent.
Cette attention la plus singulière avoit pour but la netteté dans ses sujets, &
de cacher aux yeux & à l'esprit, par le charme de la simplicité, l'excès de son
travail ; c'est ce qu'on peut appeler la vraye magie de l'art. La prodigieuse étude
qu'il avoit faite des Anciens, & des meilleurs Auteurs Italiens & François,
& ses profondes réflexions sur chacune de leurs qualitez, les luy avoient renduës
si familieres, qu'il ne pouvoit jamais faire qu'un choix distingué, lors même qu'il
s'abandonnoit au feu & à la rapidité de son génie. C'est par-là qu'il méritoit
d'être, & qu'il étoit devenu, pour ainsi dire, l'arbitre du bon goût.
Jaloux il est vray du mérite d'autruy, mais de cette jalousie que fait naître une
noble émulation, & qui caractérise toujours les grands Hommes, tout ce qu'il étendoit
de beau allumoit an luy une ardeur encore plus grande pour l'étude ; mais cette émulation
puisée uniquement dans le goût supérieur, n'étoit que favorable aux autres Maîtres,
à qui il rendoit plus de justice que leurs plus zelez Partisans ; ce qui se peut prouver
par le choix volontaire qu'il a fait d'une partie de ses plus habiles Contemporains
pour luy succeder, & pour remplir même dès son vivant quelques-unes de ses Charges.
Enfin M. De la Lande n'a pû trouver que dans la mort la fin de ses laborieuses études
& de ses admirables productions.
J'ay l'honneur d'être, Monsieur, avec l'estime la plus sincere & la plus profonde,
votre très-humble & très-obéissant serviteur, DE BLAMONT.