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Une édition numérique de la base Philidor4

Oeuvre, notice n°90018

Numéro d'origine (JLB ou EZPUBLISH) : BLAMONTO-07031

ÉLOGE DE MICHEL-RICHARD DELALANDE

Type de contenu : Musique
Personnes ayant un rapport avec l'oeuvre :
  • COLLIN DE BLAMONT, François - compositeur
Genre musical : Non renseigné
Genre du texte : correspondance

Source(s)

Cote source :
F-Pn/ Vm1 1117 [ 1]
Code source :
FCB. 901
Type de source :
originale
Description de la source :
A Mr. T[anevot], 28 Septembre 1728
Je viens d'apprendre avec un sensible plaisir, Monsieur, le bon office que vous voulez bien rendre à la mémoire de feu M. De la Lande. Vous devez, dans ce travail où vous faites paroitre votre amour pour le vray mérite, être doublement applaudi, puisqu'en écrivant la vie de ce grand Maître, & vous attachant sur tout à le représenter tel qu'il étoit par rapport à son Art, vous donnez au Public les moyens de l'admirer avec connoissance de cause, & enseignez à ses émules le chemin qui peut conduire à ce haut degré de perfection où il étoit parvenu.
J'étois son serviteur & son amy, & j'avois reçû de luy trop de marques d'estime & de bontez, par les soins qu'il a pris de m'instruire dès ma plus tendre jeunesse, soit par ses conseils pour tout ce qui peut former le gout, soit par sa constance & son attachement inviolable au travail et à son devoir, pour ne pas sacrifier quelque chose de mon amour propre, en hazardant de mettre par écrit ce qui peut vous instruire de toutes les perfections que j'ay reconnuës dans ce Lully latin. Trop heureux si cela peut vous être de quelque utilité dans votre projet, & vous mette au fait des parties de l'art qui pourroient vous échapper, ou qui vous sont inconnues. Je laisse à votre zèle à faire valoir ce que je tiens uniquement de la simple vérité. Le grand mérite de M. De la Lande consistoit dans un merveilleux tour de chant, un précieux choix d'harmonie, une noble expression : faisant toujours valoir les paroles qu'il avoit à traiter, en rendant la sens véritable, le majestueux, & le saint enthousiasme du Prophete. Plus amateur du sublime et des grandes idées, que d'un travail servile et pénible, qui fatigue plus souvent l'esprit de l' Auditeur qui ne le satisfait, & qui luy laisse presque tout à désirer. Icy sçavant & profond, là simple et naturel, il faisoit toute son étude & mettoit toute son application à toucher l'ame par la richesse de l'expression, & des vives peintures, & à délasser l'esprit par les agrémens de la variété, non seulement dans le merveilleux contraste des morceaux, mais dans les morceaux même qu'il traitoit ; ce qu'il est aisé de voir par les disparates ingénieuses dont il ornoit ses Ouvrages, & par les traits de chants gracieux, aimables, qui servoient pour ainsi dire, d'Episodes à ses Choeurs les plus travaillez.
Infatigable dans ses recherches, autant que prodigue de son génie dans ses oeuvres, il ne se satisfaisoit presque jamais ; toujours plus difficile à mesure qu'il augmentoit en mérite. Ceux qui l'ont connu particulierement, peuvent rendre témoignage qu'il a plus rebuté de Musique par le mépris qu'il faisoit du médiocre & des choses négligées, qu'il n'en faudroit pour faire la réputation d'un autre.
Les qualitez que ce grand génie possedoit encore à un degré éminent, étoient la combinaison, la précision & la juste proportion de ses morceaux, soit grands ou petits, soit de différent caractère, ce qui se fait sentir par les périodes de chant, & la gradation sans pareille des beautez de chacun de ses Recits, Duo, & autres où l'esprit & le coeur sont également interessez, l'un par la surprise & l'admiration, l'autre par le sentiment : joignez à cela la parfaite connoissance qu'il avoit de l'étenduë des voix & du propre de chaque instrument qu'il mettoit à leur aise dans ce qu'il faisoit pour eux : talent particulier qui contribuë beaucoup à la satisfaction des Auditeurs & de ceux qui executent.
Cette attention la plus singulière avoit pour but la netteté dans ses sujets, & de cacher aux yeux & à l'esprit, par le charme de la simplicité, l'excès de son travail ; c'est ce qu'on peut appeler la vraye magie de l'art. La prodigieuse étude qu'il avoit faite des Anciens, & des meilleurs Auteurs Italiens & François, & ses profondes réflexions sur chacune de leurs qualitez, les luy avoient renduës si familieres, qu'il ne pouvoit jamais faire qu'un choix distingué, lors même qu'il s'abandonnoit au feu & à la rapidité de son génie. C'est par-là qu'il méritoit d'être, & qu'il étoit devenu, pour ainsi dire, l'arbitre du bon goût.
Jaloux il est vray du mérite d'autruy, mais de cette jalousie que fait naître une noble émulation, & qui caractérise toujours les grands Hommes, tout ce qu'il étendoit de beau allumoit an luy une ardeur encore plus grande pour l'étude ; mais cette émulation puisée uniquement dans le goût supérieur, n'étoit que favorable aux autres Maîtres, à qui il rendoit plus de justice que leurs plus zelez Partisans ; ce qui se peut prouver par le choix volontaire qu'il a fait d'une partie de ses plus habiles Contemporains pour luy succeder, & pour remplir même dès son vivant quelques-unes de ses Charges.
Enfin M. De la Lande n'a pû trouver que dans la mort la fin de ses laborieuses études & de ses admirables productions.
J'ay l'honneur d'être, Monsieur, avec l'estime la plus sincere & la plus profonde, votre très-humble & très-obéissant serviteur, DE BLAMONT.

Informations sur le texte

Note sur le texte :
A. - A M. T.*** 28. Septembre 1728. - dans - MOTETS/ de Feu Mr./ De La Lande [...] - Paris, Boivin, 1729, p. 9 - F-Pn/ Vm 1 1117 (1)
Avertissement précédant la lettre de Colin de Blamont : - « Pour pouvoir donner au Public une idée générale de la Musique de M. De la Lande, faire connoître ce qui la caractérise plus particulièrement, et marquer avec quelle justesse la méthode de notre Auteur, on a consulté M. de Blamont, Surintendant de la Musique de la Chambre du Roy. Les liaisons étroites qu'il a euës avec M. de la Lande, dont il se fait honneur d'être le disciple, jointes à sa propre capacité, le mettoient plus en état que personne de faire l'analyse de cette Musique. Il a écrit à ce sujet la lettre suivante. »
Commentaires contemporains :
TITON DU TILLET (Évrard), « Le Parnasse François », deuxième supplément, Paris, 1755, article « La Lande » : - « A la tête de la Vie de La Lande on a mis une Lettre de M. Collin de Blamont, Surintendant de la Musique du Roi, qui est une éloge du grand mérite et du sçavoir de La Lande, qui doit faire honneur à sa mémoire, partant de la plume d'une personne aussi capable d'en bien juger. »
Mercure de France, février 1729, p. 333 : - « On trouve à la fin une Lettre de M. de Blamont, Sur-Intendant de la Musique du Roy. Il nous y peint les vrais talents de M. de la Lande, & il parle de son art en Maître, elle est écrite de manière à lui faire un double-honneur au Parnasse. »

Références et catalogues

Édition moderne : PROD'HOMME, (J.-G.), « Ecrits de musiciens du XVème au XVIIIème siècle », Paris, Mercure de France, 1912, pp. 314-318.

Dates et lieux

Note sur les dates :
1729 : édition en tête des motets de Michel-Richard de la Lande.

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